Le Designer et la Data

On pourrait croire au titre d’une fable avec un gentil, un méchant et une morale inspirante nous disant qu’à vouloir tout montrer on se retrouve submergé.

La réalité tient plus du combat que de la jolie histoire. Le monde de la donnée est un monde technique, gouverné par les mathématiques, statistiques, bases de données et algorithmes sémantiques. L’essentiel des efforts déployés dans nos entreprises tournent autour du grand puissant Big Data. Collecte, structure, intégrité, stockage, performance, sécurité sont les maîtres mots de ces travaux. Avec un joli DataLake, une base NoSQL ou un environnement Azure en place : fin de chantier ! Quel dommage d’arrêter la construction d’un immeuble au gros œuvre en espérant que quelqu’un y vive…

Car le problème est bien là : dans ce monde foisonnant de 0 et de 1, c’est un être avec 2 yeux et 2 mains ne pouvant retenir que 7 éléments pendant 30 secondes qui va devoir se repérer. Nous nous retrouvons ici face à un premier obstacle. Nous aurions besoin dans un premier temps de quelqu’un qui se concentre sur l’usage, qui analyse et synthétise les fonctionnalités, qui construise les parcours utilisateurs tout en maitrisant les contraintes techniques et opérationnelles. Comment faire lorsque cette personne est un Designer mais que pour la plupart des décideurs, un Designer n’est là que pour dessiner de jolies icônes et mettre de belles couleurs ? L’identification de la ressource à activer peut s’avérer compliquée. Le métier de Designer dans le monde du numérique a beaucoup évolué en peu de temps. Il s’est étoffé, segmenté et spécialisé. Mettre les bons mots aux bons endroits n’est pas chose aisée. Dans l’autre camp, chez les Designers,  nous nous retrouvons face à des acheteurs qui n’ont pas encore vu l’intérêt de passer du temps sur ces phases centrées sur l’utilisateur. Personne ne débloque un budget sans avoir compris la valeur de ce qu’il achète. Nous avons besoin de beaucoup de pédagogie pour expliquer que la donnée sera de la matière pour les travaux du Designer mais ne sera pas centrale dans sa prestation.

Nous allons ensuite faire face à une première frustration : nous sommes un pays de savoir faire, un pays fier des process où accepter de se tromper est très compliqué. Expérimenter, tester et recommencer est pourtant une partie indispensable du métier de Designer.

Dans un projet de « Dataviz », pour être pertinent il faudra faire des choix. Même si l’envie de tout montrer est très forte, nous devons avant tout donner à l’utilisateur ce dont il a besoin. Pour lui proposer un outil adapté, il faut bien sûr l’écouter. L’écouter mais ne pas faire ce qu’il dit ! Le Designer est là pour faire le ménage dans les demandes du commanditaire et celles des utilisateurs finaux (qui sont rarement à l’origine du projet) afin d’identifier les points clefs et les hiérarchiser. Tout mettre au même niveau serait contre-productif. Il faut garder en tête qu’un outil qui fait tout le fait souvent mal.

DATA y es-tu ?

Une plongée dans l’antre de la bête est indispensable. Où sont les données ? Quels sont leurs formats ? Comment y accede-t-on ? Comment sont-elles structurées ? De quelle quantité parle-t-on ? Sont elles normalisées ? Y a t il de la géographie ? Disposons-nous de dates ? … ? Ces réponses seront indispensables pour commencer à dimensionner le projet et se projeter dans le champ des possibles. Mais pas de panique, un fichier Excel bien construit permet déjà de faire beaucoup de choses ! Le plus important ici ? Pas de chichi ! Il serait dommage de laisser un acronyme ou un code interne brouiller la compréhension du contenu.

Une fois le contexte d’utilisation bien en place et compris par le Designer, ce dernier pourra travailler sur la navigation. Pour beaucoup, la Dataviz interactive c’est un Dashboard avec des donuts qui s’animent parés de leurs plus belles couleurs. Nous contraindre à cette vision nous priverait de la richesse d’une navigation et d’une exploration efficace nous permettant de comprendre bien plus vite ce que nous voyons ensuite dans la restitution. Cette dernière peut effectivement être présentée sous forme de Dashboard mais pas nécessairement ! Il y a beaucoup de moyens de montrer des indicateurs. Leur construction va dépendre de ce qu’on veut faire passer comme message ou faire retenir à l’utilisateur.

Le Designer n’oubliera pas l’identité de l’outil mis en place. Pour cela, il faudra comprendre son environnement. Il fera surement partie d’une gamme de logiciels, progiciels, intranets, extranets utilisés et mis à disposition par une entreprise qui a déjà elle-même une image propre. Un outil aura un impact plus fort si l’utilisateur peut l’identifier par un nom, un logo, des couleurs, une personnalité … Dans un projet de représentation de données, le Designer aura également à l’esprit que personne n’a reçu de formation scolaire pour lire des indicateurs sur des données. Il n’y a pas de code universel. À nous de jouer avec les symboles déjà ancrés comme la couleur rouge pour signifier un danger ou une interdiction. Le fonctionnement cognitif est également à prendre en compte. Les textures, les formes, les couleurs ne seront pas traitées de la même manière. Le placement des éléments créera des groupes naturels pour l’utilisateur ou au contraire des séparateurs efficaces. Les mouvements seront mieux perçus en périphérie et les détails au centre du champ de vision. Jouer contre le fonctionnement de notre cerveau serait un pari bien risqué !

Si un outil est fonctionnel, il peut également être attirant. L’utilisation et l’acceptation n’en sera que plus efficace. La qualité graphique est un élément crucial aujourd’hui. L’utilisateur est devenu consommateur, dans sa vie privée, de sites ou applications travaillés et maîtrisés graphiquement. À nous de ne pas rogner sur cette qualité dans le monde professionnel.

Vous ne passerez pas !!

Tout semble maintenant sur la bonne voie et pourtant … Un acteur parfois ignoré, incompris et souvent craint est indispensable à la bonne marche du projet : le service informatique. Ne pas l’inclure dès le début du projet serait très risqué. Ce service peut être un atout et une aide précieuse dans la mise en place d’un projet de visualisation de données. Nous aurons en effet souvent besoin de gérer l’authentification d’utilisateurs, d’héberger la solution, de lancer des requêtes … Le service informatique a souvent déjà mis en place ces éléments ou a au moins des règles à respecter. Le Designer saura prendre ces informations comme des opportunités de bon développement du projet.

L’hébergement mérite une attention toute particulière. Tellement d’options sont aujourd’hui possibles mais tant de barrières existent (de politique interne, d’architecture, d’infrastructure …). Il faudra savoir très tôt dans le projet comment les outils seront hébergés et maintenus.

Le but ici est d’éviter d’entendre en fin de parcours : « Ha oui mais ça on ne peut pas le faire tourner, les technos ne sont pas supportées ! » ou autre « Oui oui on a les données mais elles ne sont pas accessibles de l’extérieur et le projet est dans le Cloud. ».

Aujourd’hui, un projet autour de la Data passera par des questions juridiques : « Ai-je le droit d’utiliser ces données de cette manière là ? » sera une question primordiale pour éviter de se faire taper sur les doigts.

Enfin, ne passez pas à côté de votre déploiement. Il serait dommage de laisser votre outil prendre la poussière parce que les gens n’en ont pas entendu parler, n’ont pas compris à quoi il servait ou ne peuvent pas y accéder. Prenez en compte tôt dans le projet les contraintes de vos collaborateurs. Peuvent-ils recevoir les mails automatiques ? Leur navigateur permet-il d’accéder à toutes les fonctions ? S’ils ont besoin des données à l’extérieur, y ont-ils accès ?

Préparez-vous également à recevoir les questions, envies ou manques que les utilisateurs pourront remonter. Ils seront un atout majeur dans la préparation des évolutions éventuelles.

Vous l’aurez compris, quand c’est fini, ce n’est pas fini !

Le Designer et la Data c’est avant tout une histoire de valorisation : rendre opérationnelle cette donnée. Nous devons nous assurer de fournir les bons outils aux bonnes personnes pour extraire l’or de ces mines d’informations.

Heidi GHERNATI